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Comptes rendus

Weinstein, Barbara. 2015. The Color of Modernity : São Paulo and the Making of Race and Nation in Brazil

Durham : Duke University Press, xiii-458 p.
Ian Merkel
Référence(s) :

Weinstein, Barbara. 2015. The Color of Modernity : São Paulo and the Making of Race and Nation in Brazil. Durham : Duke University Press, xiii-458 p.

Texte intégral

1Le sous-titre de ce livre, São Paulo and the Making of Race and Nation in Brazil, révèle une tension entre deux types d’histoire. D’un côté, il fait référence au fameux The Making of the English Working Class d’E. P. Thompson, une histoire sociale de la construction de la classe ouvrière anglaise. De l’autre, il refuse de s’attarder sur une classe particulière et met au centre de sa réflexion la « race » et la « nation », qui sont des constructions en elles-mêmes. Fondé sur les discours qui circulent dans la ville São Paulo entre 1930 et 1954, The Color of Modernity de Barbara Weinstein se revendique un ouvrage d’histoire culturelle, et renouvelle en même temps l’histoire sociale.

2L’auteur analyse ce qu’elle appelle « le travail de l’imaginaire » (imaginative labor) des Paulistes à partir de leurs discours sur leur exceptionnalisme et leur supériorité. Elle note que ces propos sont apparus avant l’émergence économique et politique de l’État de São Paulo, devenu le plus grand centre économique et démographique du Brésil à cette période. Barbara Weinstein montre comment ces discours ont été ensuite repris et réutilisés pour justifier le progrès économique et social de São Paulo par rapport aux autres États et régions du Brésil. Bien qu’elle n’explique pas directement comment cette croissance inégale s’est installée dans le pays – à travers les politiques publiques ou les logiques de capital pour ne mentionner que deux possibilités d’analyse –, son argument est à ma connaissance nouveau.

3Ainsi, plus qu’une analyse des récits que les Paulistes ont produit sur leur passé, Barbara Weinstein étudie comment ces discours ont été mobilisés pour créer et renforcer des inégalités régionales. Son livre, divisé en deux parties, « The War of São Paulo » et « Commemorating São Paulo » se focalise sur deux moments de l’histoire contemporaine de la ville : la révolution/rébellion de 1932 et les fêtes des 400 ans de la fondation de la ville en 1954. Son but est de montrer à quel point un consensus sur l’esprit pionnier et dynamique des Paulistes a traversé tout l’éventail idéologique et politique de 1932 et comment ce lieu commun a été repris et réifié en lieu de mémoire en 1954.

4L’historiographie brésilienne sur le São Paulo des années 1920 et 1930 a nettement établi comment les élites paulistes se définissaient en opposition à ceux qui ne correspondaient pas à leurs modèles : notamment, les « barbares » venus des autres régions du Brésil, qui perturbaient l’économie libérale basée sur le café et contrariaient l’idéal de blanchiment de la population. En dialogue avec Tânia de Luca, Maria Helena Capelato et Maria Ligia Prado – pour ne citer que trois noms parmi les nombreux qui sont convoqués – Weinstein affirme que la définition « exceptionnaliste » des Paulistes a été appropriée bien au-delà des seules élites. En élargissant son analyse à certains groupes tels que les troupes afro-paulistes de la Legião Negra (chap. 3) ou les femmes (chap. 4), l’auteur soutient que la participation à cette construction identitaire s’est élargie. Son but n’est pas de faire émerger un récit unique à partir des positions hétérogènes et souvent conflictuelles qui existaient dans la ville, mais d’en dessiner une archéologie afin d’extraire leur substrat commun et de préciser leurs effets d’inclusion ou d’exclusion.

5Tout au long de son livre, Barbara Weinstein retrace les usages de la figure allégorique des bandeirantes. Ces explorateurs du XVIIe siècle sont allés au-delà de la limite tracée par le traité de Tordesillas et ont élargi les frontières du Brésil en réduisant en esclavage les Amérindiens. Leur aventure est devenue un lieu de mémoire pauliste comme Antonio Celso Ferreira l’a montré dans A epopéia bandeirante : letrados, instituições, invenção histórica (2001). Contribuant à cette historiographie, Barbara Weinstein met l’accent sur la façon dont le mythe des origines du peuple bandeirante s’est réverbéré non seulement dans São Paulo mais aussi au-delà de ses frontières pour consolider une position de leader au sein de la nation : « Le bandeirante a de plus en plus incarné les qualités d’entrepreneur et de dynamisme qui, soi-disant, distinguaient São Paulo des autres régions du Brésil avec leurs traditions seigneuriales archaïques. Ce sont ces qualités qui ont finalement porté l’histoire de São Paulo au niveau national et pas seulement régional » (p. 58). Il s’agissait, en effet, de séparer la nation de ses centres anciens, Rio de Janeiro et, surtout, le Nordeste.

6Ce processus de relocalisation, ralenti par la défaite de São Paulo en 1932 (le gouvernement fédéral ayant gagné la guerre civile), n’a pas pour autant été bloqué. La seconde partie du livre permet à Barbara Weinstein d’analyser une période qui a vu se concrétiser l’imaginaire pauliste. Les années 1940 et 1950 ont été beaucoup étudiées comme, par exemple, dans Metrópole e Cultura : São Paulo no meio do século XX, de Maria Arminda do Nascimento Arruda (2001). Pour Weinstein, la soi-disant modernité de São Paulo dans les domaines aussi divers que les arts, l’architecture et l’aménagement urbain doit être réévaluée, car, précise-t-elle, elle n’est pas sans références ou, du moins, sans connotations racialisantes ou différencialisantes relativement à d’autres régions du Brésil.

7En choisissant de travailler sur les discours, Barbara Weinstein a été conduite à faire une histoire en quelque sorte « moyenne ». Elle ne s’est pas contentée d’analyser la construction discursive de l’élite ni la réaction en retour des classes populaires qui acceptaient ce récit contre leurs intérêts, ou le critiquaient au sein d’une gauche organisée. Elle a voulu comprendre quand, comment et pourquoi certaines définitions et représentations ont gagné de la force. Historiciser les représentations que se font les « classes moyennes » d’elles-mêmes – la manière dont elles pensent leur position dans la société, le développement économique différencié et l’importance de certains récits historiques, même quand l’histoire elle-même est occultée – est certainement la contribution la plus importante de ce livre.

8Les discours analysés par Barbara Weinstein aident à comprendre les « classes moyennes », surtout en ce qui concerne leurs conceptions de la race et du genre. Ils sont universalistes (tout le monde, en principe, peut arriver à faire partie de ce segment social) et codés (pas toujours très subtilement) par une vision de la respectabilité qui repousse la participation effective des femmes et des personnes non-blanches. Ils ne sont pas seulement une source très riche pour comprendre le passé : ils permettent aussi de penser le présent. Barbara Weinstein évite soigneusement l’écueil de se revendiquer une historienne « paulo-centrée ». En historicisant le monopole que São Paulo s’est attribué sur les catégories de modernité et de progrès au Brésil, elle participe à la « provincialisation » de la ville et de ses « classes moyennes ». C’est aussi un projet politique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Ian Merkel, « Weinstein, Barbara. 2015. The Color of Modernity : São Paulo and the Making of Race and Nation in Brazil »Brésil(s) [En ligne], 10 | 2016, mis en ligne le 30 novembre 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/bresils/2048 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.2048

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Auteur

Ian Merkel

New York University

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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