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Comptes rendus

Salama, Pierre. 2012. Les Économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis.

Paris : Armand Colin, Collection U, 232 p.
Jaime Marques Pereira
p. 251-253
Référence(s) :

Salama, Pierre. 2012. Les Économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis. Paris : Armand Colin, Collection U, 232 p.

Texte intégral

1Ce dernier livre de Pierre Salama est une lecture passionnante pour toute personne s’interrogeant sur le caractère d’économie émergente, aujourd’hui attribué à certains pays latino-américains. Le Brésil en constitue, on le sait, le prototype motivant la prédiction qu’il devienne un des nouveaux moteurs de l’économie mondiale. La démarche de Pierre Salama est aux antipodes de ce type de prospective. Il procède en effet à une analyse comparée des potentiels de croissance montrant que la continuité des meilleures performances économiques et sociales de la région, dans les années 2000, est menacée par une double fragilité structurelle : 1. une dépendance accrue d’exportations de matières premières, dont les prix sont très volatils ; 2. une spécialisation industrielle sur des productions de moyenne ou faible technologie, très sensibles aux prix, et donc à la concurrence de pays plus compétitifs. Dans un contexte de concurrence accrue du fait de la puissance industrielle chinoise, la désindustrialisation menace le potentiel de croissance du Brésil. La comparaison montre que ce pays est aujourd’hui en plus mauvaise posture que l’Argentine, contrairement à l’opinion courante condamnant sa politique économique hétérodoxe.

2On ne peut, dans cette brève recension, rendre compte de la richesse de cette analyse qui contemple les diverses dimensions des changements économiques : les effets de la globalisation commerciale et financière, la désindustrialisation, le rapport entre croissance et distribution des revenus, la politique de réduction de la pauvreté, les racines économiques de la violence. On peut néanmoins en souligner la portée qui fait l’originalité de l’ouvrage : la mise au jour d’une histoire en train de se faire ouvrant la possibilité, encore loin d’être prouvée, que le Brésil et l’Argentine échappent à une nouvelle forme de sous-développement, paradoxalement liée à leurs performances technologiques dans l’exploitation des matières premières. La perspective d’une demande externe croissante qui empêche une baisse durable de leurs prix constitue un pari dangereux sur le développement de l’Asie, au premier chef de la Chine, leur premier partenaire. La relation commerciale avec cette puissance devient en effet de plus en plus asymétrique : l’absence de mesures atténuant les effets de la libéralisation commerciale par un protectionnisme sélectif et provisoire, se somme à la timidité d´une politique industrielle qui devrait rendre possibles des gains compétitifs absolus, suivant ainsi l´exemple de l’Asie.

3La désindustrialisation débute en Argentine comme au Brésil avec la mise en œuvre de la libéralisation dans les années 1990. La concurrence des produits chinois l’aggrave de façon significative dans les années 2000. Au Brésil, celle-ci est accentuée par une politique de lutte contre l’inflation qui a pour seul instrument la hausse du taux d’intérêt, suivant en cela l’orthodoxie de la plupart des banques centrales du monde. Il en a résulté des entrées de capital impliquant la forte appréciation du taux de change. L’auteur montre que son effet, en termes de perte de compétitivité prix des produits manufacturés brésiliens, est le principal facteur responsable d’un déficit croissant de la balance industrielle. Le choix de cette politique orthodoxe conforte les intérêts des créanciers d’une dette publique en augmentation mais obère la progression de l’investissement. La différence entre l’Argentine et le Brésil est instructive sur ce point. Buenos Aires a, en effet, mené une politique de change limitant son appréciation et imposé aux créanciers de la dette externe publique une décote substantielle. Elle a pu ainsi renverser partiellement la tendance à la désindustrialisation qui s’était approfondie, bien plus qu’au Brésil, au cours de la décennie précédente. En moyenne, le taux de croissance argentin a été le double du taux brésilien depuis la reprise économique faisant suite aux crises financières du tournant du millénaire.

4Ce livre dessine ainsi des pistes de recherche nouvelles en ce qui concerne l’analyse économique des conditions d’un cercle vertueux entre croissance, distribution et compétitivité qui renvoient à la politique monétaire et de change, à une réversion des effets régressifs de la fiscalité ainsi qu’à la politique industrielle. En outre, il signale implicitement le déficit d’une analyse sociopolitique qui éclaire les contraintes de la configuration des intérêts économiques et la capacité des gouvernements à la gérer. Les difficultés que connaissent actuellement tant l’Argentine que le Brésil soulèvent clairement cette question. Plus largement, l´analyse de l’Amérique latine proposée par Pierre Salama éclaire les aléas qu’occulte la catégorie trop générale d’économies émergentes qui seraient vouées à porter la croissance mondiale grâce à la libéralisation. Elle invite à tirer les leçons des effets pervers de la globalisation commerciale et financière dans la région. L’auteur rappelle que l’accélération de la croissance avec aggravation des inégalités sociales et régionales, que la Chine a mise en œuvre grâce à un régime autoritaire, est une expérience que le début de l’endettement international avait déjà permise en Amérique latine dans les années 1970. La décennie perdue qui en résulta devrait conduire à s’interroger sur les effets futurs de l’aiguisement des conflits distributifs en Chine. Par ailleurs, l’échec des politiques d’austérité à résoudre la crise de la dette en Amérique latine devrait être pris en considération dans la gestion de la crise de la zone euro. La crise de la dette a duré une décennie sur le continent sud-américain et elle ne s’est résolue que grâce à une restructuration des dettes, gagée par le FMI. En outre, la croissance n’est réellement revenue que grâce aux excédents commerciaux qui ont desserré la contrainte externe dans les années 2000. Mais cette « bénédiction » de la conjoncture internationale conduit in fine à la désindustrialisation en l’absence d’un cercle vertueux entre croissance, distribution des revenus et compétitivité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jaime Marques Pereira, « Salama, Pierre. 2012. Les Économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis.  »Brésil(s), 5 | 2014, 251-253.

Référence électronique

Jaime Marques Pereira, « Salama, Pierre. 2012. Les Économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis.  »Brésil(s) [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 15 mai 2014, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/bresils/907 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.907

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Auteur

Jaime Marques Pereira

CRIISEA/Université de Picardie Jules Verne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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